jeudi 30 octobre 2008

Avis de recrutement!


L'image, le langage et l'école

Robert Chièze
L'image, le langage et l'école
Sur les effets de la télévision

Dans un article intitulé « Comment comprendre la désaffection des jeunes à l'égard des sciences ?», d'un numéro précédent de cette revue (1), Marie-Claude Blais fait une présentation du problème qui me paraît remarquable : complète, bien documentée, solidement argumentée et, enfin, très éloignée des considérations fatalistes traditionnelles, qu'une évolution des représentations de la science dans nos sociétés semble alimenter. Elle écrit, à propos des observations des enseignants, sur lesquelles elle s'appuie : " Il est frappant de voir que celles-ci tournent autour du même diagnostic : les élèves d'aujourd'hui ont de grandes difficultés avec l'abstraction, avec l'imagination et avec la mémorisation e, puis, un peu plus loin : " Le mot d'ordre semble être la spontanéité : "J'écris comme cela me vient à l'esprit." »
De fait, nous sommes en train de constater, tous, enseignants, chercheurs, penseurs de l'éducation, que les rapports aux langages se sont profondément transformés. Enseignant de mathématiques de 1965 à 2003, j'ai relevé vers le milieu des années 1980 l'apparition d'une nouvelle forme de "résistance" aux apprentissages scolaires chez les élèves de collège : ils n'accordaient plus aux symboles la même importance que dix ans plus tôt, malgré mes exigences, au moins aussi fortes quant à la mémorisation. Par la suite, ce phénomène s'est accentué de façon rapide et très intense. Aujourd'hui, et depuis déjà quelques années, il se manifeste de façon très nette, notamment :
- par des difficultés dans la reconnaissance des signes (j'ai eu vite la conviction que des phénomènes extérieurs à l'école détruisaient constamment une partie du travail effectué en classe, en ramenant sans cesse l'élève à une perception trop globale, sensible notamment dans le calcul numérique et algébrique) ;
- par un besoin d'" immédiateté », qui se traduit par des résistances lourdes dès qu'il faut élaborer méthodiquement des solutions en mettant en application des savoirs, des savoir-faire et des raisonnements;
- par une déstabilisation, sans cesse renouvelée, des capacités d'attention, de concentration et d'écoute dans toutes les situations d'apprentissage, s'associant chez certains, de plus en plus nombreux, à un besoin très fort de se mettre en scène;
- par de véritables blocages : trop d'élèves entretiennent tardivement des perceptions fortement erronées de l'espace et du temps, dont l'incidence sur les représentations concep­tuelles constitue un très lourd handicap, notamment dans l'assimilation du système décimal et, conjointement, dans celle des systèmes de mesure nécessaires à l'initiation aux sciences;
- par un recul de plus en plus prononcé et généralisé par rapport aux utilités externes des apprentissages scolaires, alors que les programmes sont de plus en plus conçus pour don­ner aux savoirs enseignés une apparence d'utilité externe immédiate.
J'ai donc progressivement acquis la conviction que mon travail d'enseignant, qui me paraissait pourtant être un assez bon compromis entre des exigences traditionnelles et une attention soutenue aux difficultés individuelles de mes élèves, se heurtait à une " culture extérieure », de plus en plus puissante.
Mon questionnement s'est très vite dirigé vers la télévision. La question des effets de la télévision est devenue avec le temps un phantasme de salle des profs. Pourtant, vers le milieu des années 1980, dans une enquête effectuée à la demande du ministère de l'Éducation nationale, Jacques Lesourne écrivait: « Les mauvais résultats en matière de lecture viennent du fait que les enfants assimilent une multitude de langages incompatibles entre eux. Celui de la télévision et des jeux vidéo, par exemple, est un langage inorganisé, a-conceptuel, qui est à l'opposé du mode de savoir exigé et dispensé par l'école. Cette enquête semble être tombée dans les oubliettes. Que s'est-il passé depuis? Qu'a-t-on fait ?
Le problème n'est pas celui de la qualité des émissions. Cette approche de la question ne conduit à rien. Son impuissance a fini par installer le doute, l'acceptation passive et la résignation. Il faut remonter plus haut, à la nature même de ce que véhicule la télévision. Elle est d'abord faite d'images. Sans images, pas de télévision. Notre hypothèse est que c'est dans la nature de ses images que se situent les origines de notre problème. Ces images, globalement, sont de conception photographique. Si, depuis les années 1980, les rapports aux langages, c'est-à-dire principalement à la langue maternelle et aux mathématiques, se sont profondément transformés sous les effets des images de la télévision, c'est parce que ces images sont de conception photographique. Comment les images de la télévision peuvent-elles intervenir sur les rapports aux langages au point de modifier en profondeur ceux qui, dans nos sociétés, s'étaient constitués au cours de l'histoire? Voilà ce qu'il s'agit d'établir.

L'image de conception photographique

Au début du xxe siècle, Charles Sanders Peirce, « inventeur » de la sémiotique, a défini trois niveaux de représentation.
Le premier niveau est celui des index (ou indices) : c'est celui des " signes » (ou représenta­tions) qui se réalisent par connexion réelle (ou connexion physique) avec ce qu'ils représentent, appelé le référent. Les empreintes, par exemple, sont des index.
Le deuxième niveau est celui des icônes. Cette catégorie est celle des " signes " qui n'entretiennent avec leur référent, l’objet» représenté, que des relations de ressemblance (mais elles peuvent être complexes). Les arts plastiques traditionnels, c'est-à-dire la peinture, le dessin, la sculpture... appartiennent, de façon générale, à cette catégorie. Il faut y ajouter la musique.
Le troisième niveau est celui des symboles c'est celui des " signes " qui sont associés à ce qu'ils désignent par l'intermédiaire d'une convention générale. Les lettres, les mots, les phrases, les nombres... sont des symboles. Dans les années 1970 et 1980, les débats sur la place de la photographie dans les arts plastiques ont rappelé et souligné avec insistance que la photographie ne peut qu'appartenir au premier niveau de représentation, celui des index. Peirce lui-même classait déjà la photographie dans les index. L'apport des technologies modernes ne change rien à ce statut. Globalement, d'un point de vue scientifique, les images de la télévision, comme celles du cinéma et de la vidéo, ne peuvent être que des images de conception photographique.
Avec l'invention de la photographie sont donc apparues pour la première fois dans l'histoire de l'humanité des images réalisées sans la mise en œuvre de codes spécifiques et fondamentaux pour les interpréter. Depuis les cavernes, tout au long de son histoire, jusqu'à l'invention de la photographie, l'homme n'a eu à sa disposition pour s'exprimer que des outils permettant de réaliser des représentations par des symboles ou par des ressemblances. Notre langue maternelle, par exemple, utilise des lettres, des mots, des signes... Elle met en œuvre des symboles qui sont associés à ce qu'ils représentent par des conventions. Notre langue maternelle est donc un langage. Il en est de même pour nos systèmes de numération, pour les mathématiques. Le peintre, le dessinateur, le musicien, le sculpteur ne sont pas des automates. Être capable d'exécuter un dessin, un tableau exige toujours des apprentissages souvent difficiles. Pour produire une œuvre accessible à un public, il faut posséder des savoirs, des savoir-faire, connaître des codes. La peinture, le dessin sont des modes de représentation qui accèdent donc, eux aussi, au statut de langage. En revanche, l'image de conception photographique, quel que soit le média qui la véhicule, reste l'empreinte d'un fragment d'espace et de temps réalisée essentiellement par des procédés physico-chimiques, sans que les codes spécifiques nécessaires puissent réellement modifier ce statut d'empreinte. Les appareils utilisés pour prélever les empreintes laissent peu de possibilités d'intervention, par comparaison avec ce que peut faire un peintre. Le cadrage et le choix de l'instant ne sont pas réellement des instruments de codage. Comme l'a parfaitement montré Roland Barthes (pour la photographie), ces images ne peuvent pas représenter la réalité par « interprétation " comme le font les symboles (mots, phrases, nombres...), par l'intermédiaire de conventions, et les icônes (peintures, dessins...), par l'intermédiaire de ressemblances et de codes. Quel que soit le « travail » qui, à travers nos perceptions d'adulte, vient se placer derrière les images de la télévision, du cinéma ou de la vidéo, pour nos enfants, ces images fonctionnent comme des empreintes.
II faut donc enfin admettre qu'une image de conception photographique ne se lit pas, et, impérativement, cesser d'employer, à son égard, le mot de " lecture ". Car il évoque dans le langage courant un processus de reconnaissance portant sur des symboles et non des indices, associé à un processus de traduction et d'interprétation par le biais de conventions s'enchaînant de façon complexe. Comme le dit John Berger (écrivain anglais et... photographe), " la photographie ne traduit pas les apparences, elle les cite (2)». En effet, qu'elle soit fixée sur les murs des galeries ou mobile à travers l'écran de télévision, l'image de conception photographique restitue toujours mécaniquement l'empreinte d'un fragment d'espace et de temps appartenant au passé, réalisée de façon très automatisée par des procédés physico-chimiques. En outre, sa reproduction et sa diffusion sont extrêmement faciles. Dans le cas général, et surtout au niveau qui nous intéresse ici, la reconnaissance des contenus n'est pas un acte de lecture. Même si elle fait parfois appel à la réflexion (mais la télévision laisse peu de temps), aux souvenirs, cette reconnaissance s'effectue selon des procédures très différentes des procédures intellectuelles mises en œuvre par une description écrite. Il n'y a ni lecture ni traduction. Reconnaître quelqu'un sur une photographie ou sur l'écran de télévision est bien sûr un acte culturel, mais les compétences nécessaires ne reposent pas sur des formations à caractère intellectuel et scolaire. Elles se développent de façon naturelle dans le milieu où l'on vit. La reconnaissance d'un contenu se situe au niveau des effets : effets de ressemblance, effets de dissemblance. L'image de conception photographique ne fait que déplacer des empreintes dans le temps et dans l'espace. Elle établit bien des rapports avec la mémoire, mais ses interventions dans les procédures intellectuelles sont très différentes de celles des autres modes de représentation.

Premières incidences

L'image de conception photographique, par son statut, a profondément modifié les rapports à l'histoire et même, de façon encore plus générale, à la connaissance. Depuis son invention, la photographie reste une « boîte noire », et l'opacité des techniques mises en œuvre entretient une méfiance latente, elle aussi très forte. Les possibilités offertes aujourd'hui par l'informatique ne sont pas de nature à calmer cette méfiance. Il parait possible, toutefois, de dégager trois conséquences de la diffusion massive de ce type d'images.
1) Par le biais de la télévision, l'image de conception photographique a fortement accéléré une transformation en profondeur des rapports du peuple à l'histoire. Jusqu'au XVIIIe siècle, et même encore pendant tout le XIXe et une partie du XXe pour une majorité de la population, la connaissance de l'histoire ne pouvait se transmettre que traduite, interprétée par ses reliques, ses monuments, la peinture, le dessin, la sculpture, la musique et, surtout, l'écrit. Mais aujourd'hui, à travers l'actualité, l'histoire est livrée au jour le jour, à l'état brut, sans l'interprétation traditionnelle que les spécialistes lui apportent par l'écriture et avec le temps. Quand un événement est raconté par l'écriture, la parole, le dessin ou la peinture, il est en même temps interprété. Toute description, par exemple, est déjà une interprétation, qui s'impose à celui qui la lit ou la décode. Quand la procédure de communication s'organise autour de citations d'apparences, ces citations sont perçues comme des émanations directes de l'événement. Et, même si l'association discours-citations est nécessaire à un fonctionnement minimal de la procédure (avec au moins la date et le lieu), les citations elles-mêmes s'imprègnent rarement des interprétations qui les accompagnent. Autrement dit, en raison de son réalisme facile à saisir et de sa valeur de preuve, l'image de conception photographique prime toujours sur le discours. Et aucun discours ne peut empêcher le spectateur d'élaborer sa propre interprétation, quand il en a les moyens, ou quand il croit les avoir.
2) L'image de conception photographique a sécrété des problèmes d'éducation nouveaux, dont il faut prendre conscience. Un petit détour par la question du film de fiction que nous avons laissé de côté jusque-là est ici nécessaire. Dans la perspective qui nous intéresse, un film de fiction est donc un processus de citation d'une mise en scène et du jeu de ses acteurs. La restitution de cette mise en scène et de ces jeux par des images de conception photographique est à l'origine de la nature même du cinéma et de son évolution par rapport au théâtre. Au fil du temps, le mécanisme de la citation a donné au cinéma de fiction une identité différente de celle du théâtre. Cette évolution a été accélérée par les nouvelles technologies. Mais il ne faut pas perdre de vue que son statut actuel, très complexe, est inséparable de son statut initial de processus de citation. L'attention que nous accordons à la mise en scène, aux acteurs et à leurs jeux, aux décors et aux effets spéciaux a tendance à nous le faire oublier. Or cet intérêt est le produit d'un apprentissage long. Pour faire court, nous dirons qu'il relève de l'apprentissage de la vie. En fait, c'est le processus de citation, avec toutes les opportunités qu'il offre dans l'assemblage des scènes, qui permet de donner au cinéma de fictions un réalisme extrêmement puissant. Un réalisme qui, pour les enfants notamment, n'est pas différent de celui du film documentaire. Dans le méli-mélo des programmes et du « zapping », cette association document-fiction crée un mélange de genres qui mérite une attention particulière. Elle me parait être à l'origine de nombreuses formes de comportements a-sociaux, souvent violents. En effet, dans le contexte des modes de vie actuels où le contact avec la réalité s'est fortement affaibli, notamment dans l'éducation des enfants, elle accroît les difficultés de distinction entre la réalité et la fiction, et peut faciliter le passage à l'acte. Car la télévision développe l'imagination, le goût du jeu et du théâtre. Le mélange des genres crée un contexte nouveau qui, de façon générale, incite les jeunes à se mettre en scène (en famille, dans la rue et en classe). N'ayons pas peur de le dire, la télévision possède un réel pouvoir de déséducation, difficile à contrôler en dehors de toute volonté publique et institutionnelle.
3) Étant donné le primat de l'image sur le discours, l'association d'images et de discours dont est faite toute émission de télévision est beaucoup plus souvent qu'on ne l'imagine victime d'un découplage, d'une dichotomie, qui peut se produire lorsque le spectateur identifie mal les images, ou ne comprend pas les discours, ou ne parvient pas à gérer conjointement l'identification des images et l'interprétation des discours. Les enfants sont particulièrement concernés. Mais, comme nous l'avons déjà vu, ce découplage peut aussi être le fruit d'une autonomie incitant le spectateur à élaborer sa propre interprétation, que cette autonomie soit justifiée ou non. Le statut de preuve, indéfectiblement lié à la nature de l'image de conception photographique, ne peut qu'inciter le spectateur à prendre ses distances par rapport aux discours qui l'accompagnent. Ce pourrait être la source du phénomène que nous constatons aujourd'hui, notamment à l'école : l'existence d'une situation de doute, et même de contestation, à l'égard de l'interprétation experte qui se généralise et qui va à l'encontre de l'ensemble des savoirs institués.

Image et mémoire

L'impact de l'image de conception photographique sur la mémoire est particulièrement important pour notre sujet. Il paraît reposer sur au moins quatre « mécanismes d'intervention » très distincts.
1) D'abord, il faut noter que l'image de conception photographique se substitue à la réalité dans notre découverte du monde, de façon très importante. Cette observation peut, pour l'instant, se passer de tout autre commentaire.
2) Son statut d'empreinte l'apparente à un matériau brut, très mal adapté au fonctionnement de la mémoire, notamment aux activités de mémorisation et de restitution volontaire. En revanche, par « l'ouverture », des sensibilités elle se situe à l'origine d'un phénomène de mémorisation involontaire, incontrôlable et anarchique très important. Avec des représentations qui citent les apparences, la fixation des souvenirs ne s'effectue pas de la même façon qu'avec les langages qui les traduisent. Elle est beaucoup plus libre et spontanée. Sans méthode et sans effort particulier, elle ne se maîtrise pas, elle se fait, ou ne se fait pas, de façon plus ou moins inconsciente. C'est que " l'unité de construction et de lecture n'est pas la décision du trait... mais
la plage (4). Sans « traduction ", écrite ou parlée, ce type d'images se dérobe constamment à tout acte volontaire de mémorisation. En effet, selon Jean Piaget, les activités de notre mémoire, comme la perception du monde à laquelle elles s'associent, sont subordonnées aux fonctions accommodatrices des schèmes de l'intelligence. L'utilisation d'un langage bien assimilé, tel qu'une langue parlée et écrite, constitue déjà une mise en œuvre des fonctions accommodatrices les plus courantes de l'intelligence.
3) L'image de conception photographique possède le pouvoir phénoménal de remplacer la mémoire. Parce qu'elle permet de restituer à tout moment une réalité à jamais révolue, ou particulièrement éloignée, elle peut s'inclure dans les procédures intellectuelles en se substituant totalement à la mémoire. Par exemple, le professeur de sciences de la vie et de la terre peut demander à ses élèves pendant une sortie pédagogique de photographier des matériaux ou de filmer un phénomène naturel pour reporter à plus tard les descriptions à effectuer ou... éviter de les faire. L'image de conception photographique permet ainsi de limiter, de retarder ou d'éviter des activités de mémorisation.
4) Elle sollicite la mémoire pour identifier les contenus. Cette identification s'effectue par ressemblance avec ce qui est déjà connu. Elle fait donc intervenir la mémoire par restitution de connaissances. Mais, par opposition aux langages qui traduisent la réalité, l'image de conception photographique par elle-même ne schématise rien. Elle se présente comme une empreinte, comme un matériau brut à peine plus évolué que la réalité représentée. L'identification peut se faire de façon naturelle, mais elle peut parfois être difficile et ne pas se faire.
L'image de conception photographique s'impose donc à la mémoire par des biais différents. Mais elle n'est qu'une empreinte. Malgré ses extraordinaires capacités à apparaître sur les mêmes supports, dans sa construction, en elle-même, elle n'est pas, comme un symbole ou une icône, le fruit d'une activité de restitution mnémonique. Une empreinte de ce type se prélève sur le lieu de l'événement, au moment où il se produit, et témoigne de la présence de son auteur en ce lieu au moment opportun. Toute image de conception photographique est donc indéfectiblement liée à une expérience, et c'est en restant associée à l'évocation de cette expérience qu'elle trouve sa signification. Le discours, réduit éventuellement à l'indication de la date et du lieu, constitue le moyen le plus élémentaire d'en rendre compte. C'est donc dans ses alliances avec l'écrit puis, beaucoup plus facilement encore, avec des dialogues (au cinéma et à la télévision), que l'image de conception photographique devient réellement signifiante.

L'image dans les procédures intellectuelles

Du point de vue pédagogique qui nous intéresse ici, il faut concevoir ce genre d'images comme étant essentiellement un produit de substitution qui permet, dans ses utilisations, de réduire ou de faciliter le déroulement de certaines procédures intellectuelles, en éliminant ou en transformant des étapes. Les propriétés que nous avons isolées permettent de comprendre les effets majeurs de la télévision sur les apprentissages scolaires. L'opposition de la télévision et de l'école est bien une réalité.
1) Devant la télévision le jeune enfant apprend à reconnaître ce qu'il voit sans avoir besoin de le nommer. Il reconnaît par ressemblance, d'abord avec ce qui constitue son entourage, puis avec ce qu'il a déjà découvert, vu ou entendu, à la télévision. Ainsi, sans offrir les possibilités d'abstraction d'un langage, la forme d'accès à la connaissance à laquelle il s'initie n'en constitue pas moins un entraînement de son esprit à des activités de conceptualisation ou de "préconceptualisation » au sens de Piaget. Par exemple, en regardant une émission comme « Trente millions d'amis », l'enfant reconnaît d'abord les chiens et les chats par ressemblance avec ceux qu'il connaît réellement. L'émission retient alors son intérêt et il voit, ensuite, des animaux évoluer dans des situations qui ne sont pas celles où il voit évoluer ceux de son entourage. Il découvre ainsi d'autres êtres vivants qui possèdent, comme les chiens et les chats qu'il connaît, quatre pattes, une queue, un museau, des oreilles, un pelage..., tous les attributs d'un concept'. En rendant le passé aussi sûr que le présent, le lointain aussi proche que ce qui peut être touché, ou encore en provoquant simplement des interrogations, ensuite par leur multiplication, les effets de reconnaissance entraînent l'imagination vers une reconstruction intellectuelle du passé ou du lointain, dans laquelle, nécessairement, s'ébauchent des concepts. En réalité, à ce niveau, la conceptualisation reste incomplète. C'est celui du préconcept. Devant une émission comme "Trente millions d'amis", l'enfant peut, éventuellement, être conduit à " classer» les êtres vivants. Mais les dialogues et les commentaires, trop sophistiqués, lui échappent. II ne peut en retenir éventuellement que quelques mots. Et, même si, par l'alliance des images et de dialogues, la télévision lui permet d'acquérir un peu de vocabulaire oral, cet élargissement des capacités de conceptualisation s'effectue sans les intermédiaires indispensables. II ne s'appuie pas sur des conventions. N'étant pas structuré par un langage adapté à ses capacités, il est nécessairement limité. L'apprentissage d'un langage s'amorce avec des préconceptualisations, mais il se poursuit et s'intensifie par la mise en œuvre des concepts déjà acquis. Les processus de citation des apparences, seuls, ne peuvent donner qu'une idée superficielle des attributs d'un concept, une idée insuffisante pour autoriser la formation d'une définition opératoire de ce concept.
Mais ce phénomène de conceptualisation incomplète engendre à son tour, nécessairement, des motivations à l'égard de ce que le jeune a envie d'apprendre et, donc, des attentes particulières à l'égard de l'école. Mais l'école n'a pas appris à répondre à des attentes de ce genre. Pourtant, l'environnement de l'enfant n'est plus, aujourd'hui, la ferme avec ses animaux et ses outils hérités du XIXe siècle (je fais référence aux rééditions de la méthode de lecture Boscher), mais une réalité complexe médiatisée par la télévision.
La télévision constitue donc pour le jeune enfant un moyen d'émancipation cognitive avec lequel il n'a pas besoin de nommer ce qu'il voit et ce qu'il entend, de le représenter symboliquement. C'est sur cette première forme d'élargissement de sa pensée que naissent et commencent à se développer ses besoins de découverte. Quand il arrive à l'école, ce qu'elle lui offre ne répond pas à ce qu'il en attend réellement, du plus profond de lui-même. Sa petite tête est déjà pleine d'images qu'il ne peut associer aux activi­tés proposées. Il y a rupture. L'école n'est pas pour lui le lieu des apprentissages attendus. Et son niveau de maturité ne lui permet pas d'adapter ses motivations.
Il faut à cet égard cesser de se laisser abuser par la réussite de notre école dans la première moitié du XXe siècle et se décider à ouvrir un peu les yeux. Au regard de l'histoire, sa réussite reste incontestable. Mais son organisation, ses programmes, ses méthodes étaient en corrélation étroite avec le contexte culturel, social, économique et technologique. Même si cette corrélation n'était pas totale, elle était déjà largement suffisante pour entretenir les motivations nécessaires à l'égard des apprentissages intellectuels fondamentaux. Va-t-on enfin sortir des lieux communs pour donner une explication honnête à la réussite de l'école de Jules Ferry, et cesser de l'attribuer, par parti pris idéologique, à une éducation, une forme de docilité que nos sociétés laisseraient s'échapper par l'abandon d'exigences éducatives fondamentales? Même sur cette évolution des comportements vers l'incivisme, vers un manque de respect à l'égard des adultes et des héritages, qui serait due à une dérive des exigences éducatives, à un laxisme dont on rend un peu trop facilement les parents et les enseignants responsables, il est nécessaire de s'interroger, sans contester les faits. La situation est bien réelle. Mais cessons de l'attribuer, exclusivement, aux héritages de mai 68. La télévision n'y est pas étrangère.
2) La télévision développe les sensibilités visuelles et, dans une moindre mesure, les sensibilités auditives, mais elle associe à ce développement une formation (ou contre-formation) particulière des aptitudes intellectuelles. Devant l'image qui cite les apparences, la vue et le cerveau s'entraînent à percevoir des plages et non des lignes, des formes coloriées et non des lettres noires ou monochromes. En outre, les images de la télévision s'effacent rapidement, les formes sont remuantes. Le développement des sens et des aptitudes au travail intellectuel subit, ainsi, une orientation caractéristique vers l'appréhension globale d'indices. Pour les enfants, notamment, la signification de ce type d'image surgit spontanément ou jamais. Elle n'est pas l'aboutissement de raisonnements méthodiques associés à des efforts de mémoire. D'où l'installation d'un conflit permanent entre deux modes d'accès à la connaissance. Dans l'apprentissage d'un langage, les significations s'élaborent à partir de souvenirs, dont la restitution peut exiger des efforts importants, et la mise en oeuvre de raisonnements parfois longs et laborieux qu'il faut, en outre, écrire pour en conserver la trace. Apprendre un langage c'est apprendre à construire des significations. Pour les enfants, l'image qui cite les apparences produit ses effets, et libère déjà un premier volume d'informations sans manifester les mêmes exigences. Parallèlement, elle développe une sorte d'intuition, une a logique des apparences », une formation qui installe l'enfant dans un comportement d'attente des significations éventuelles. Même quand il est « attentif », il reste tendu vers la signification, sans effectuer de véritable travail de recherche (autre que l'identification spontanée et constante des contenus) ; comme si la suite ne dépendait pas de lui. En fait, au travail sur des symboles, par exemple sur l'écrit, s'associe une exigence spécifique d'attention et de concentration, alors que devant la télévision le spectateur, enfant ou adulte, est beaucoup plus dans une situation d'attente émotionnelle que de mobilisation à caractère intellectuel. Je pense qu'il y a même entre ces deux apprentissages de l'attention un antagonisme qui ne peut être évacué que par la recherche de motivations. Nous sommes en face d'une orientation particulière des aptitudes et des attitudes par détournement des «prérequis fondamentaux », que l'école ne pourra vraiment corriger qu'en réorientant les motivations développées par la télévision. D'où la nécessité d'introduire des apprentissages permettant de saisir l'image de conception photographique comme une étape d'une procédure intellectuelle, et rien d'autre. Il faut, en fait, faire comprendre aux jeunes ce que ce type d'image est réellement, c'est-à-dire presque rien, sans une bonne maîtrise des outils intellectuels fondamentaux.
3) Nous avons déjà abordé la question de l'identification des contenus et celle du découplage entre les images et les discours. Suivre réellement un film ou une émission de télévision grand public est un acte qui, même au niveau le plus élémentaire, présente un minimum d'exigences culturelles en savoir, en sensibilité et en réceptivité dans le temps. Évidemment, ces qualités ne sont pas innées. Ainsi, devant la télévision, l'enfant ne perçoit assez souvent qu'un fond d'images et de bruits, entrecoupé de révélations courtes qui peuvent n'avoir aucun lien significatif entre elles. Il pense alors à faire autre chose, à manger, à boire, à parler avec ses voisins, à critiquer ce qu'il voit, tout en continuant à surveiller le petit écran pour ne rien perdre d'intéressant, car la télévision crée une sorte de dépendance (Philippe Meirieu a parlé de sidération). Trop souvent, il ne fait en cela qu'imiter les adultes qui l'entourent. Ainsi, devant le petit écran, non seulement l'enfant n'a plus l'occasion d'apprendre les règles de savoir-vivre les plus élémentaires qu'implique toute activité
collective, mais, en plus, il aurait même tendance à acquérir des comportements a-sociaux à l'égard des situations analogues à celles de la classe.
En outre, nous savons que l'apprentissage d'un langage commun s'inclut, nécessairement, dans un processus de communication et d'interaction avec le milieu où vit l'apprenant. Or, non seulement la télévision ne répond pas à ses questions, mais, en plus, elle ne laisse pas à l'enfant le temps d'interroger efficacement son entourage, au moment opportun. Le jeune téléspectateur finit donc par s'installer dans une attitude de passivité intellectuelle, et par prendre l'habitude de disperser son attention sur tout ce qui se passe autour de lui.
La télévision lui permet d'élargir le champ de ses connaissances, dans la désinvolture et la facilité. Certes, cet élargissement est très superficiel, mais en général suffisant pour satisfaire les curiosités naturelles de l'enfant. A l'égard des exigences traditionnelles de l'école, de ses cours collectifs et de la mobilisation qu'appelle tout apprentissage approfondi, elle sème donc les graines d'une sorte de rébellion.
Les jeunes éprouvent maintenant des difficultés d'évaluation importantes de l'espace et du temps, qui se retrouvent dans tous les apprentissages scolaires fondamentaux. Les fondements des notions d'espace et de temps ne s'acquièrent pas par des études théoriques sur des frises et des cartes de géographie, c'est-à-dire sur des morceaux de papier, mais par des activités pratiques. Or, aujourd'hui, les jeunes passent beaucoup de temps devant la télévision, dont l'effet est donc, finalement, double.
Premièrement, de façon très directe, un des principaux effets de l'image qui cite les apparences est d'enlever à l'édifice des structures opératoires de l'intelligence une partie importante de ses fondements sensitifs au profit d'une perception visuelle qui ne s'effectue que par l'intermédiaire d'une empreinte. Devant la télévision, l'enfant se donne une connaissance du monde qui reste, d'une part, très médiatique, d'autre part, insidieusement et arbitrairement fragmentaire. Il peut parcourir la terre entière en un temps record sans avoir la moindre idée de ce qui lui échappe. Le monde est entièrement ramené à ce qu'il voit sur l'écran. Entre deux sujets séparés en réalité par des milliers de kilomètres ou des années, la télévision ne laisse rien. A travers l'image de conception photographique, elle abolit totalement les notions d'espace et de temps aussi bien au niveau des grandeurs que des positions.
Ainsi, dans le vécu médiatique très fort que l'image qui cite les apparences est capable de donner d'un événement, l'absence de contact physique avec la réalité développe et entretient chez les enfants une perception très irréaliste de l'espace, du temps et aussi, du même coup, de l'effort physique. L'alliance du réalisme et de l'intemporalité de ces images finit par produire un effet de transformation dans le comportement des enfants, en particulier dans leur façon d'appréhender, ou de ne pas appréhender, le temps qui passe et l'événement vécu. Et, par incidence, ce sont les formes et les rythmes individuels d'apprentissage, d'émancipation et de développement intellectuel et psychologique qui se transforment radicalement.
D'autre part, nous savons déjà que la perception de l'espace et du temps est un facteur fondamental à l'égard des opérations intellectuelles, et notamment de la lecture. En effet, la compréhension d'un texte s'effectue au travers d'évocations, le plus souvent visuelles et auditives. C'est l'organisation spatiale et temporelle de ces évocations qui crée du sens. On peut donc dire qu'une perception erronée de l'espace et du temps complique la construction des significations dans l'acte de lecture.
L'effet du temps passé devant la télévision s'exerce également de façon indirecte. Quand nous comparons les enfants d'aujourd'hui à ceux d'hier, n'oublions pas que le temps passé devant la télévision et l'ordinateur est pris sur les temps de loisir le plus souvent au détriment d'activités pratiques, physiques, manuelles et artistiques : jeux d'extérieur, sport, dessin, travaux divers... Aujourd'hui, l'enfant a de moins en moins de contacts sensitifs avec la réalité. Nous sommes donc devant un cercle infernal, véritablement vicieux : la télévision finit par priver les jeunes de l'expérience qui, justement, leur permettrait d'être moins sensible à ses effets et d'en tirer un meilleur profit culturel. En France, je pense que c'est seulement depuis le milieu des années 1980 qu'un niveau critique, dans le processus de rupture avec les activités de contact " manuel et physique», a été nettement dépassé, c'est-à-dire après l'explosion du paysage audiovisuel. Dans d'autres pays, par exemple ceux du nord de l'Europe, les conséquences du franchissement de ce point de rupture ont très certainement été atténuées par des programmes et des contenus qui affichent depuis longtemps des ambitions intellectuelles nettement moins prononcées, et qui laissent sensiblement plus de place à un certain contact avec la matière, au moins dans le cadre d'activités artistiques.
Le phénomène touche aussi l'acquisition des mesures. Parce qu'en dehors de l'école les enfants n'ont presque jamais l'occasion d'effectuer des tracés, de manipuler, d'évaluer de façon expérimentale pour concrétiser un projet d'utilité autant que possible personnel, l'enseignement de la mesure des longueurs, des aires, des volumes et des capacités a perdu toute cohérence. Jamais les enfants n'ont eu autant besoin qu'aujourd'hui de façonner eux-mêmes des objets simples, d'utiliser des instruments de mesure dans des situations concrètes, d'effectuer des tracés précis sur d'autres supports que des cahiers d'écolier, de découper des matériaux et de réaliser des assemblages. En ce qui concerne l'ensemble des formations intellectuelles, les activités élémentaires de couture, de cuisine, de menuiserie, de tôlerie, de mécanique, de maçonnerie..., même celles dont l'apprentissage ouvre de moins en moins de portes sur le monde du travail et ne présente que peu d'intérêt pour la satisfaction des exigences de la vie quotidienne, prennent aujourd'hui une valeur éducative de caractère général et d'importance fondamentale, tant à l'égard des questions d'attention, de concentration, d'écoute, pour recréer des motivations grâce à leurs caractères transdisciplinaires, qu'à l'égard de leur participation au développement des structures opératoires de l'intelligence et de la perception de l'espace et du temps.
Si paradoxal que cela puisse paraître, l'initiation à la maîtrise de certaines technologies modernes, telles que l'informatique, est, comparativement, nettement moins prioritaire. Mais il est évident, toutefois, qu'elle ne doit pas être négligée.
Les questions d'écoute, de concentration, d'attention et d'approfondissement sont devenues des problèmes majeurs de l'action pédagogique. Les cas particuliers des années 1970 et avant se sont multipliés au point de devenir, selon les disciplines, selon les heures de la journée, selon ce que les élèves ont fait dans le cours précédent, selon une multitude de facteurs, des cas généraux, auxquels tous les enseignants sont confrontés, constamment, même avec leurs meilleurs élèves. Mais, de façon générale, que savent-ils leur opposer? « Écoutez », «faites attention", "concentrez-vous », seulement des injonctions. Certes, les " enfants de la télévision " n'ont rien inventé. Les problèmes d'attention, de concentration, qu'ils soient ponctuels ou constants, les résistances à s'investir dans des activités longues, où il faut élaborer des solutions, enchaîner des raisonnements, se manifestent toujours de la même façon. Mais devant leur généralisation et toutes les dérives qui s'y associent, il faut bien maintenant s'intéresser aux origines de ces « dysfonctionnements ». L'institution a cru pouvoir dépasser ces problèmes en modifiant les programmes et en abandonnant ou en allégeant certaines activités. Or, les exigences à l'égard des apprentissages scolaires de base, celui de la langue maternelle, celui du calcul, des mathématiques, ne peuvent pas changer. Elles sont intrinsèquement liées à la notion de langage, à la nature de l'écrit. Cette voie est sans issue.
Face au spectacle télévisuel, l'école doit donc rapidement réagir et prendre en charge la forma­tion des attitudes qu'exigent dans leur ensemble les apprentissages intellectuels. Elle doit ensei­gner au jeune ce qu'il doit faire pour écouter, être attentif, se concentrer sur des activités à caractère scolaire; l'inciter, par exemple, à se répéter mentalement la question posée, lui en laisser le temps. Mais tous ces gestes que les neurosciences nous enseignent ne suffiront pas si nous ne savons pas découvrir et réorienter les motivations que développe le monde moderne vers les apprentissages scolaires. Et, surtout, nous devons enfin « tordre le cou» à l'idée que ces gestes sont naturels, ou s'apprennent sur injonc­tions et menaces de sanctions. Même quand ils paraissent naturels, ils sont toujours associés à des motivations bien réelles, qui, quelquefois, nous échappent.
Globalement, la volonté de s'instruire reste entière, je pense qu'elle est même de plus en plus forte. D'ailleurs, le temps passé par les jeunes devant la télévision, notamment devant des émissions documentaires, en témoigne. Mais dans le contexte actuel « l'offre» scolaire est ressentie par les enfants comme une rupture, une duperie. Elle casse cette volonté d'apprendre. C'est à la pédagogie de recréer le lien nécessaire. Comment? Nous avons déjà des pistes. Face à l'offre télévisuelle, d'apprentissage dans la désinvolture et en libre service, qui n'est qu'illusion, comme nous l'avons largement démontré, nous pouvons réagir très rapidement en lui opposant des activités artistiques et manuelles (arts plastiques, musique, cuisine...), et une approche très expérimentale des sciences, pour lesquelles des motivations existent (la démonstration n'est plus à faire). Les activités à proposer doivent d'abord être transdisciplinaires, de façon à orienter les motivations vers les apprentissages fondamentaux; elles doivent ensuite " coller» suffisamment à la réalité et aux motivations des jeunes pour que le désir d'aller au terme du travail entrepris soit un élément moteur suffisamment fort, quelles que soient les difficultés rencontrées. Elles doivent donc être conçues, c'est aussi l'intérêt de leur caractère transdisciplinaire, de façon à présenter des exigences d'attention, de concentration... très proches de celles nécessaires aux apprentissages fondamentaux. C'est pour tout cela que les activités manuelles à caractère artistique offrent un potentiel énorme, qui n'est pas nouveau. Or, au cours de ces dernières décennies, l'enseignement est devenu de plus en plus livresque et encyclopédique. Un véritable contresens, que la Finlande, par exemple, a su éviter, au moins partiellement.
Que l'on ne se méprenne pas sur la démarche proposée. Je réclame un autre regard sur la télévision, pas son rejet, qui serait le pire des maux. La télévision appartient incontestablement à la modernité, y compris en ce qui concerne les activités intellectuelles, mais nous n'avons pas encore su identifier le rôle qui est le sien, par la nature de ses images, et adapter en conséquence nos conceptions et nos pratiques éducatives. De toute façon, l'histoire ne se refait pas et nous sommes " condamnés » à faire avec. La censure systématique et toutes les formes d'évitement sont les solutions les moins appropriées. Pour les parents, le premier pas de toute démarche d'adaptation n'est donc pas de priver les enfants de télévision, mais de les laisser la regarder, de les laisser choisir eux-mêmes leurs programmes, sans s'interdire quelques interventions ou certaines censures, bien sûr, en se faisant une règle de la regarder avec eux, afin de répondre à leurs questions, en les provoquant si nécessaire. Mais c'est d'abord à l'institution, puis aux enseignants que revient l'essentiel des efforts à faire. Ils détiennent presque toutes les clés de cette maîtrise de l'image à reconquérir au profit du discours.

Robert Chièze.

samedi 18 octobre 2008

Le retour des camps...?

Souvenez-vous des "Enfants de Don Quichotte", association créée en novembre 2006, dont le but est de "permettre à des personnes sans domicile, confrontées à la vie à la rue, de se regrouper dans un lieu où elles pourront bénéficier d'une aide humanitaire de base dans un esprit collectif.", ainsi que de "permettre à des citoyens, avec ou sans domicile fixe, d'interpeller ensemble l'opinion et les pouvoirs publics, afin qu'une politique active en faveur du droit de tous à un logement adapté soit mise en place." (http://www.lesenfantsdedonquichotte.com/v4/index.html)
Depuis les tentes qui bordaient le canal Saint-Martin à Paris ont disparu. Toutes ces personnes, où sont-elles allées? Elles sont le plus simplement du monde parquées dans un centre dit de stabilisation à Ivry-sur-Seine, et logent dans des pré-fabriqués de 35 mètres carrés. Le lieu a été baptisé par la ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, de "Village de l'espoir". Jusque-là, "très bien" me diriez-vous. Or, depuis qu'on les a installés dans ce "centre", certains ayant retrouvé du travail et réunissant toutes les conditions pour bénéficier d'un vrai logement, veulent partir... Mais leurs démarches n'aboutissent pas. Le ministère veut étendre l'expérience de ce "centre de stabilisation" à tout le pays.
Que doit-on comprendre? C'est très simple: l'Etat semble avoir décidé d'enrayer de nos rues la vision de sans abris en les plaçants dans un de ces centres, dont la fonction est de les aider à retrouver un travail et un logement. Cependant, il semble qu'on ait envi de les laisser dans ces...camps. Oui, disons-le, il s'agit, ni plus ni moins de camps où l'on va concentrer les SDF dans des pré-fabriqués, voire pire. Au moins, me direz-vous, ils ont un toit et de quoi manger. Oui mais ils n'ont pas un vrai toit, une vraie intimité, un travail, leur dignité... tout ce que chaque être humain à droit. En effet, pourquoi isoler ces individus alors qu'ils ont besoin de créer à nouveau du lien social.
La société française laisse naître, comme à une certaine époque, des camps ou des centres (peu importe le mot) où l'on enfermera à moitié des individus (presque comme les animeaux dans les zoo), une population indésirable aux yeux de la nation française.
Cette article fait écho à l'émmission "Chez FOG", diffusée le 18/10/2008 sur France5. http://www.france5.fr/chez-fog/